Des Milliards aux Jouisseurs : Pourquoi la Guerre à l'Est n'est Pas une Priorité pour Kinshasa

Les chiffres récents concernant les dépenses de la Présidence de la République Démocratique du Congo (RDC) pour le premier semestre 2025 ont de quoi provoquer une consternation légitime et appellent à une analyse approfondie. Selon les états de suivi budgétaire de la Direction des politiques et programmation militaire, relevant du ministère du Budget, ces dépenses se sont élevées à un montant astronomique de 1 217 817 918 853 CDF, soit environ 427,3 millions USD (au taux budgétaire moyen de 2853 CDF pour 1 USD).
Ce qui choque, c’est que ce montant, exécuté en seulement six mois, dépasse déjà très largement les prévisions budgétaires annuelles fixées à 864 634 125 836 CDF (soit 303 millions USD). En d’autres termes, les crédits alloués pour douze mois ont été épuisés, voire dépassés, en une moitié d’année.
L’Alarme de l’Urgence et le Défi de la Transparence
Une part significative de cette dépense, soit 688 896 614 724 CDF, a été réglée en mode d’urgence. Si l’urgence est parfois nécessaire pour la bonne marche de l’État, une utilisation si massive et disproportionnée de ce mode de décaissement pour les dépenses présidentielles soulève de sérieuses questions sur la transparence, la bonne gouvernance et le respect des procédures d’engagement standard. L’usage récurrent du mode d’urgence est souvent le signe d’une mauvaise planification, voire d’une volonté d’échapper aux mécanismes habituels de contrôle.
Face à cet écart budgétaire, on est en droit de se demander : où est passé le sens des responsabilités ? Comment justifier une telle gabegie financière dans un pays dont la population vit majoritairement sous le seuil de pauvreté et qui fait face à des crises humanitaires et sécuritaires chroniques ?
L’Étrange Priorité face à la Tragédie de l’Est
Le contraste entre ces dépenses somptueuses et la situation dramatique qui prévaut dans l’Est de la RDC, notamment au Kivu, est particulièrement frappant. Le paradoxe est douloureux : alors que des centaines de milliers de Congolais souffrent des conséquences de la guerre, du déplacement, des viols et de la misère, les efforts financiers semblent se concentrer de manière excessive sur l’appareil présidentiel.
Pire encore, la critique s’étend à la stratégie diplomatique et sécuritaire face à cette crise. L’argument selon lequel la nomination de « novices » ou de « frères et amis » sans expertise avérée est privilégiée dans les missions de négociation, sous-entend une priorité donnée à l’enrichissement personnel au détriment de l’efficacité et des intérêts supérieurs de la nation.
Si l’on en croit certaines sources, y compris des partenaires internationaux comme les Américains, la faiblesse et l’incohérence de la diplomatie congolaise dans ces pourparlers seraient devenues un secret de polichinelle.
Le problème ne serait donc pas uniquement le Rwanda ou les groupes armés, mais aussi et surtout la qualité de la gouvernance et des choix stratégiques faits à Kinshasa.
Où va l’Argent qui Devrait Armer la Nation ?
C’est là que l’analyse devient la plus acerbe. La question qui s’impose est cinglante : ces millions de dollars volés chaque jour ne pouvaient-ils pas restructurer l’Armée, la moderniser et l’équiper ? L’enveloppe de 427,3 millions USD dépensée en six mois par une seule institution dépasse, sans aucun doute, le montant nécessaire pour des investissements cruciaux en matière de défense : achat d’équipements sophistiqués, formation de troupes spécialisées, et amélioration des conditions de vie des militaires sur le front.
Le détournement ou la mauvaise affectation de ces fonds publics constitue une trahison directe des soldats et des populations de l’Est. Ces sommes, captées par la boulimie des élites, sont l’équivalent des moyens manquant pour établir une souveraineté militaire effective. Le véritable coût de cette gabegie n’est pas seulement financier, il se mesure en vies humaines et en territoires perdus.
Le Ver dans le Fruit : Le Problème de l’Infiltration
L’autre aspect crucial de la crise sécuritaire congolaise est la fameuse infiltration des Forces Armées de la RDC (FARDC). La présence d’agents doubles ou d’éléments travaillant pour des puissances ou groupes armés étrangers est un facteur de paralysie reconnu, minant la confiance, l’efficacité des opérations et la sécurité des informations.
Alors, si l’armée est infiltrée, qu’est-ce qui empêche l’État congolais de désinfiltrer cette armée ? Est-ce le Rwanda qui retient les mains des autorités congolaises ? Absolument pas.
L’éradication de l’infiltration est une responsabilité souveraine et interne. Elle nécessite :
- Une volonté politique inébranlable : La restructuration, la création de nouvelles unités de commandement et des enquêtes de sécurité approfondies.
- Des moyens financiers : Les fonds qui s’évanouissent dans les dépenses présidentielles auraient pu financer un audit interne rigoureux et la formation d’une nouvelle chaîne de commandement épurée et fiable.
- Le courage d’agir : Il faut prendre la décision difficile d’extirper tous ces infiltrés, quel que soit leur rang ou leur influence.
La question de savoir combien d’années il faudra pour éradiquer l’infiltration n’est pas technique, elle est politique. Tant que les bénéficiaires de cette armée affaiblie et infiltrée se trouvent au sommet de l’État, ou que le courage d’agir manque, cette gangrène perdurera. L’inaction face à l’infiltration est un choix, pas une fatalité imposée par l’ennemi.
L’Urgence de Quitter la Naïveté
Ces chiffres et de la gestion de crise exige une remise en question radicale de l’attitude d’une partie de la population, qui persiste à applaudir ou à excuser des dirigeants manifestement « irresponsables et irrespectueux » du contrat social. Tant que cette complaisance subsistera, le pouvoir en place n’aura aucune pression réelle pour changer de cap.
La tragédie du Kivu ne semble pas ébranler Kinshasa au point de devenir sa priorité absolue. L’histoire récente montre que tant que la capitale ne se sent pas directement menacée et tant que les élites au pouvoir peuvent continuer à jouir de leurs privilèges et à « piller la République », la guerre dans l’Est demeurera une question périphérique.
Il est impératif pour les Congolais, particulièrement ceux de l’Est qui paient le prix du sang, d’ouvrir les yeux. L’inaction ou la mauvaise gestion des fonds publics est un facteur aggravant de la crise sécuritaire. Tant que l’argent de la République ne servira pas en priorité à renforcer l’armée, à stabiliser les régions en crise, à éduquer les enfants et à protéger les femmes, le cycle infernal de la violence, de la pauvreté et de l’impunité continuera. La véritable bataille passe aussi par la revendication de la bonne gouvernance et de la redevabilité à Kinshasa.
Rédaction